Figures du Golfe : six visages, six visions pour l’après-pétrole
Derrière chaque capitale du Golfe, un visage stratégique trace une voie distincte vers l’après-pétrole. Six leaders, six approches, une même urgence : se réinventer.
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Sheikh Tahnoon Bin Zayed
Un Golfe, plusieurs batailles
Dans l’imaginaire collectif, le Golfe forme un bloc uni, riche, conservateur. Mais derrière l’or noir se dessine une réalité plus fragmentée : une compétition silencieuse entre capitales pour façonner l’après-pétrole. Chacune trace une voie distincte : techno-souveraineté, diplomatie verte, soft power, régulation numérique... Et chaque trajectoire porte un visage.
Arabie Saoudite : Mohammed Bin Salman : le bâtisseur impérial
Le prince héritier d’Arabie Saoudite n’aspire pas à réformer son pays : il veut le refonder. Avec la Vision 2030, il a lancé une transformation titanesque. NEOM, ville futuriste de 500 milliards de dollars, symbolise cette volonté de rupture. Mais au-delà du spectaculaire, c’est un projet d’indépendance totale : technologique (cloud saoudien), militaire (industrie de défense), culturelle (cinéma, événements sportifs).
MBS joue sur plusieurs tableaux en même temps : diversification économique, autorité renforcée, modernisation contrôlée. Mais cette hyper-centralisation autour d’une seule vision soulève une question : peut-on tout transformer à la fois sans créer de tensions internes incontrôlables ?
Émirats Arabes Unis : Sheikh Tahnoon Bin Zayed : l’ingénieur du futur
Discret mais déterminant, Sheikh Tahnoon est l’homme de l’ombre derrière l’écosystème IA du Golfe. G42, ADQ, IHC, Aleria : il contrôle les infrastructures, les datas, les standards. L’objectif ? Non pas participer à la révolution numérique, mais la posséder. Abu Dhabi construit méthodiquement une souveraineté technologique complète, dans un silence stratégique.
Contrairement à la frénésie saoudienne, les Émirats misent sur l’alignement : standards technologiques, accumulation de data, diplomatie scientifique. L’objectif n’est pas d’imiter la Silicon Valley, mais de devenir la plateforme incontournable de l’IA du monde global. Dans cette logique, chaque start-up accueillie, chaque accord signé, alimente une toile d’influence algorithmique régionale.
Qatar : Sheikha Moza bint Nasser : la reine du récit
Le Qatar a fait un pari audacieux : remplacer l’influence militaire par le soft power culturel et éducatif. Au cœur de cette stratégie : Sheikha Moza. Élégante, polyglotte, diplomate, elle incarne un Qatar tourné vers la connaissance.
À travers Qatar Foundation, l’émirat attire les grandes universités, finance des programmes mondiaux sur l’éducation, promeut la recherche. Al Jazeera, WISE, les initiatives patrimoniales… Doha n’impose pas sa force mais son récit. Dans une région fracturée, cette voix alternative trouve des échos bien au-delà du Golfe.
Oman : Sayyid Bilarab bin Haitham : la voix verte
Oman n’a ni les ambitions impériales de Riyad, ni la puissance algorithmique d’Abu Dhabi. Son pari : devenir le pôle éthique du Golfe. Sayyid Bilarab, fils du sultan, incarne cette nouvelle génération d’Omanais qui mise sur l’économie bleue, les circuits durables, et la diplomatie environnementale.
Face à un monde en quête de sens, cette stratégie attire des investisseurs occidentaux sensibles à l’ESG. Oman mise sur la stabilité, l’ouverture, la lenteur assumée. Une singularité régionale qui pourrait s’avérer payante à long terme.
Koweït : Sheikh Salman Al-Sabah : l’équilibriste prudent
Freiné par une scène politique fracturée, le Koweït progresse par ajustements. Sheikh Salman symbolise une posture hybride : modernisation partielle, cybersécurité sous-traitée, innovation sous contrôle.
Moins ambitieux sur le plan régional, le pays conserve cependant des atouts : une élite éduquée, une relative liberté d’expression, et un système parlementaire unique dans le Golfe. Cette prudence peut paraître timide, mais elle évite les excès des mégaprojets à hauts risques.
Bahreïn : Khalid Al Rumaihi : l’architecte des règles
Petit royaume coincé entre deux géants, Bahreïn a opté pour la différenciation réglementaire. Khalid Al Rumaihi, ex-chef du Conseil de développement économique, pilote cette stratégie : créer un cadre juridique agile pour les fintech, crypto et start-ups.
En attirant les jeunes pousses technologiques avec des "regulatory sandboxes", Bahreïn se positionne comme laboratoire d’innovation légale dans un Golfe encore frileux sur ces questions. Ce rôle de pionnier discret séduit les investisseurs cherchant stabilité et clarté.
L'or noir ne suffit plus
Le Golfe n’avance pas en bloc, mais en constellation. Chacun a choisi son terrain, sa méthode, sa vision. Dans la course à l’après-pétrole, la fortune seule ne suffit plus : c’est l’intelligence stratégique qui déterminera les gagnants. Dans ces différentes orientations, on retiendra d'abord celle de l'Arabie Saoudite, qui diversifie tous azimuts, avec une certaine folie des grandeurs et un cap sommes toutes peu clair. Une vision ressort et surnage, celle des Emirats Arabes Unis qui ont tout misé sur l'Intelligence Artificielle et les technologies souveraines, le secteur le plus porteur d'avenir. L’après-pétrole ne sera pas une autoroute mais un réseau de chemins parallèles. Et ce ne sont pas les budgets qui feront la différence mais la clarté des objectifs, la cohérence d’exécution, et l’aptitude à convaincre un monde qui change.
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